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L’ÉVÉNEMENT de Marc BRUCKER : Le début de l'histoire


L’ÉVÉNEMENT

Mais que se passe-t-il dans la région Midi-Pyrénées ?

Depuis quelques jours, les disparitions mystérieuses se multiplient.

Le commissaire Romain Bouvier et la lieutenante Domenga Etxeberri, de la S.R.P.J. de Toulouse, ne savent plus où donner de la tête.

Une chose est sûre, les enlèvements coïncident avec la survenance de « l'événement ».

Qui est cet étrange Docteur Dittman qui rôde dans les parages, dans sa vieille Audi noire ?

Que manigance-t-il dans son laboratoire secret ?

D’où viennent ces ennemis invisibles qui se cachent dans les bois ?

La découverte d'un indice inquiétant va mettre les policiers sur une piste terrifiante.

Le spécialiste, Alain Gassiolle, est appelé en renfort. Sera-t-il en mesure de les aider ?

Si leurs craintes se confirment, il pourrait s'agir de… la fin de l'humanité !

Le début de l'histoire

L’événement s’était produit environ trois semaines plus tôt. Le 26 juin 2016, à 2 h 38 précises. Du moins, selon tous les grands quotidiens mondiaux, reprenant tous le jour et l’heure officiels.

À partir de ce moment-là, la vie était devenue absolument insupportable dans la petite ville de Cahors, dans le département du Lot.

Nathan Marcandier piaffait d’impatience de changer d’air et pianotait nerveusement sur le volant de sa Chevrolet bleue. Il attendait impatiemment que Maryline descende enfin les escaliers de sa maison familiale. Il avait déjà klaxonné trois fois pour lui faire comprendre son envie pressante de partir en balade, mais cela n’avait pas eu beaucoup d’effet. Sans doute encore un dernier coup de peigne qui s’attardait dans sa chevelure, ou alors un fard à paupières à rajouter avant de se montrer, à moins que ce ne soit carrément un changement de robe de dernière minute.

Mademoiselle Maryline Tauzin était coutumière du fait, elle avait pris l’habitude de se faire attendre partout et par tout le monde.

Toute petite déjà, elle prenait un malin plaisir à arriver après les autres, que ce soit pour entrer dans les salles de classe ou pour rejoindre la bande du quartier après les devoirs du soir. Sans doute, un trop-plein de narcissisme qui la poussait à se comporter comme une personne importante, vers qui tous les regards se tournaient.

Nathan et elle, natifs de Cahors, avaient grandi ensemble. Depuis l’école maternelle jusqu’à l’obtention de leur baccalauréat, il y avait un mois – à peine quatre jours avant l’événement ! –, ils s’étaient toujours retrouvés dans la même classe, à suivre un cursus scolaire identique. La jeune fille n’omettait jamais de rappeler régulièrement à son entourage qu’elle avait obtenu la mention bien à son examen. Nathan, quant à lui, se satisfaisait simplement d’avoir son diplôme en poche, même en ayant atteint de justesse la moyenne qui donnait accès au Graal. Les études n’étant pas son point fort, il lui tardait maintenant d’entrer au plus vite dans la vie active.

La nouvelle bachelière franchit enfin la porte d’entrée. Vêtue d’un jean Levi’s tout neuf et d’un ravissant dos nu vert pâle, assorti à la couleur de ses ballerines en cuir, elle fit une arrivée théâtrale, digne d’une star de cinéma foulant le tapis rouge du Festival de Cannes.

En bon gentleman, Nathan lui ouvrit immédiatement la portière côté passager. Il ne put néanmoins s’empêcher de lui faire une remarque sur sa tenue :

– Tu te rappelles que nous n’allons pas au cinéma, mais que nous partons faire une promenade dans la forêt.

– Bien sûr, je le sais, s’offusqua-t-elle. Mes chaussures sont tout à fait adaptées à la marche.

Le conducteur n’insista pas. Comme d’habitude. Une autre des caractéristiques de son amie consistait à avoir toujours le dernier mot ! Il démarra et s’engagea rapidement sur la D8 en direction de Pradines.

– Je suis pressé de sortir de la ville, dit-il en expirant bruyamment.

– Moi aussi, confirma-t-elle. On étouffe ici depuis quelques jours.

La population de Cahors avait quasiment doublé en l’espace de quinze jours. Les hôtels affichaient complet, tout comme les gîtes ruraux qui devaient refuser du monde. La moindre place de parking était prise d’assaut. Il n’y avait plus un seul terrain vague resté désert. Les camping-cars et les tentes en toile y fleurissaient çà et là de manière totalement anarchique. Les artères de l’agglomération se trouvaient constamment obstruées par d’imposants véhicules bruyants et polluants.

Depuis l’annonce de l’événement, des journalistes du monde entier avaient pris possession des lieux. Le mont Saint-Cyr, endroit d’escapades favori des deux jeunes gens, fourmillait de policiers et d’éminents scientifiques de la planète. Un imposant cordon de sécurité interdisait l’accès à la quasi-totalité du site. Même les Cadurciens, qui pourtant connaissaient par cœur les sentiers annexes, ne pouvaient franchir les lignes de démarcation.

On ne parlait plus que de cela dans les médias. Pas un journal, pas une chaîne de télévision ne dérogeaient à la règle. L’événement avait fait le tour de la Terre en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Après une vingtaine de minutes de route, Nathan et Maryline pénétrèrent dans la commune de Pradines.

– C’est pas vrai, s’exclama la jeune fille, ici aussi, il y a un monde fou.

– Comme un peu partout dans la région Midi-Pyrénées, confirma son ami. Ils en ont parlé hier soir au journal télévisé. Le sud de la France a été littéralement envahi. Ça promet une belle pagaille avec, en plus, la cohorte habituelle de vacanciers qui commence à débouler.

– Là ! le coupa Maryline, désignant un véhicule quittant sa place de stationnement.

Le conducteur profita de l’aubaine et s’engagea immédiatement dans l’emplacement laissé vacant.

– Un sacré coup de chance, se réjouit Nathan. En plus, juste devant le magasin du glacier. Ça te tente, Maryline ?

– Volontiers. Je vais t’attendre à l’ombre, sur l’un des bancs à l’orée du bois.

– Entendu, je n’en ai que pour quelques minutes. Je te rejoins tout de suite.

Ils se firent un petit salut de la main et s’envoyèrent des bisous à distance avant de se séparer.

Nathan était loin d’imaginer, à ce moment-là, qu’il ne reverrait plus jamais son amie !

Maryline s’enfonça dans la forêt et respira à pleins poumons la bonne odeur des pins, dont les pommes se craquelaient sous l’effet de la chaleur. Ses ballerines s’enfoncèrent dans le moelleux tapis d’humus qui recouvrait le sol, et se teintèrent aussitôt d’une affreuse couleur brunâtre. Elle dut admettre que la réflexion de Nathan, au sujet de son choix de chaussures, s’en trouvait justifiée. Mais elle se garderait de lui en faire part !

Elle s’approcha de la rivière lorsqu’elle entendit des pas derrière elle. Elle se retourna et scruta les alentours. Personne à l’horizon. D’ailleurs, le bruit avait cessé. Elle poursuivit son chemin sur quelques mètres, puis s’arrêta net. Cette fois-ci, elle en était sûre, il y avait bien quelqu’un qui la suivait. Elle poussa un soupir, puis parla à haute voix :

– C’est bon, Nathan, arrête ton jeu stupide. Tu crois que je n’ai pas découvert ton petit manège ?

Elle n’obtint aucune réponse. Les bruissements se firent de plus en plus proches, et même, ils semblaient provenir de différentes directions, comme si quelqu’un tournait autour d’elle.

– Montre-toi maintenant, Nathan, ce n’est pas très drôle, cria-t-elle d’une voix qu’elle aurait souhaitée plus ferme.

Malgré ses airs de grande fille qui n’a peur de rien ni de personne, elle n’en menait pas large dans cette situation angoissante. Un craquement de branche, juste dans son dos, la fit sursauter. Elle virevolta, prête à se défendre.

Elle n’eut pas l’occasion de réagir, car un choc brutal la projeta violemment à terre. Un voile noir tomba devant ses yeux, juste avant qu’elle ne perde connaissance.

Arrivé à la lisière de la forêt, le jeune homme fut surpris de ne pas y trouver sa camarade. Il se mit à maugréer contre la bougeotte coutumière de Maryline, qui avait autant de mal à rester sur place qu’un gamin qui attend avec impatience la venue du père Noël. Décidément, cette fille n’en faisait qu’à sa tête. Elle ne pouvait pas l’attendre avant d’aller se balader !

Il s’aventura plus avant sur le sentier menant à la rivière, criant son prénom, en espérant la voir sortir de derrière un bosquet, l’air réjoui par sa plaisanterie douteuse. Pas de réponse, pas de Maryline. Nathan réitéra son appel, d’un ton nettement plus énergique. La glace dégoulinait de plus en plus vite le long des cornets, lui poissant inexorablement les mains. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’il ne se décide à jeter les sorbets dans la nature et à s’asseoir sur la souche d’un arbre mort en attendant le retour de son espiègle camarade.

Pendant qu’il nettoyait ses doigts gluants avec un mouchoir en papier, son regard fut attiré par un objet au sol, réverbérant sporadiquement les rayons de soleil au gré du mouvement des feuillages alentour. Il se leva pour en avoir le cœur net. Les battements de son cœur s’emballèrent lorsqu’il ramassa une chaînette plaquée or, dont le fermoir présentait une cassure nette. Il la reconnut sans hésitation. Il l’avait, lui-même, offerte à Maryline pour son anniversaire !

Nathan s’alarma davantage lorsqu’il constata que des traces d’une couleur rouge sombre zébraient la paume de sa main. Du sang !

Quelques mètres plus loin, il aperçut soudain une longue traînée sanguinolente s’arrêtant brutalement devant un enchevêtrement de buissons. Après s’être frayé avec précaution un chemin à travers la végétation, Nathan repéra un passage où l’herbe avait été lourdement foulée et aplatie au sol, et sur lequel gisaient de nombreuses branches arrachées. Le jeune homme imagina tout de suite qu’il s’agissait là de traces de lutte, Maryline se démenant pendant que son agresseur la traînait au sol et l’entraînait dans les fourrés. Son impression funeste se confirma aussitôt. Une grosse flaque de sang en train de coaguler semblait marquer la fin des indices décelables.

Nathan s’appuya contre le tronc d’un arbre et vomit bruyamment son petit déjeuner, dans un affreux et douloureux borborygme.

Après avoir retrouvé ses esprits, il se sécha la bouche du revers de la main et essuya les larmes qui coulaient sur ses joues. D’une main tremblante, il sortit son téléphone portable de la poche de son pantalon. Il dut s’y reprendre à trois fois avant de pouvoir composer correctement le 17, le numéro d’urgence Police Secours.

***

Constantin Bardolle marchait péniblement à travers les ruelles tortueuses du centre historique de Cahors, tenant en laisse son fidèle épagneul fauve et blanc, Mikado. Le vieil homme grommelait dans sa barbe blanche et ne manquait pas de lâcher un juron issu de son vaste répertoire à chaque fois qu’un véhicule mal garé entravait son cheminement. Les gens ne respectaient plus rien ni personne dans cette foutue époque prétendument évoluée. De son temps, il y avait quand même beaucoup plus de discipline… et beaucoup moins de voitures. On n’était pas des fainéants au siècle dernier, on savait encore utiliser ses jambes pour se déplacer. La situation devenait particulièrement critique ces derniers temps. Depuis que l’événement constituait le sujet majeur de toutes les discussions, une horde de curieux – de jour en jour plus nombreux – envahissait la ville. Il n’y avait plus moyen de faire quelques pas dans les rues, sans que l’un de ces fureteurs vienne vous demander le meilleur itinéraire pour accéder au mont Saint-Cyr, ou encore mieux… si vous aviez été témoin de l’événement !

Constantin n’avait rien à faire de tous ces tralalas qui défrayaient la chronique et qui venaient troubler sa quiétude légendaire. Son objectif du moment consistait à traverser au plus vite le magnifique pont fortifié Valentré – datant du XIVe siècle et classé par l’UNESCO au patrimoine mondial – qui surplombait le Lot. Il était impatient de s’adonner à son activité favorite, taquiner la truite dans la rivière. Son petit recoin routinier, sur la rive ouest, entouré par les collines escarpées et les hauteurs arides des Causses, lui tendait les bras. Là-bas, au moins, il serait tranquille. Normalement !

Il déchanta en approchant de son emplacement préféré. Partout où la topographie du terrain le permettait, des véhicules 4x4 – immatriculés dans différents pays – s’alignaient en rang d’oignons, écrasant sans vergogne buissons et fleurs odorantes sous le caoutchouc de leurs monstrueuses roues motrices. Constantin se voyait bien s’arc-bouter sur les pare-chocs des véhicules et pousser dans la rivière ceux dont les propriétaires n’auraient pas songé à tirer le frein à main.

Mais le vieil homme, bien trop gentil, n’allait pas commettre une telle ineptie. Et surtout… cela ferait fuir les poissons. Heureusement qu’un sentier pentu et recouvert de gravillons protégeait l’accès à son coin de pêche, le mettant partiellement à l’abri des envahisseurs.

Constantin détacha la laisse de Mikado, qui partit immédiatement folâtrer dans les herbes hautes. Il déposa son sac à dos sur la berge, s’installa sur sa chaise pliante en toile, déballa son matériel de pêche et prépara méticuleusement quelques lignes. Enfin au calme.

La rivière aussi était plus encombrée que d’habitude : des papiers gras et des déchets de plastique en tous genres flottaient sur l’eau, se balançant de droite à gauche au rythme des flots. Forcément, avec tous ces étrangers qui envahissaient le pays, la nature en prenait un sacré coup.

– Bon, se dit-il à haute voix pour s’encourager. Va falloir viser juste pour envoyer le bouchon au milieu de ces décombres.

Sa longue expérience de la pêche lui valut de réussir son lancer dès la première tentative. Son flotteur tomba pile entre une bouteille vide et un emballage de bonbon au chocolat. Il s’adossa confortablement contre le dossier de sa chaise, étira ses jambes et poussa un soupir de soulagement. Son euphorie fut soudainement troublée par des grognements insistants de son chien.

– Qu’est-ce que tu fabriques, Mikado ? Viens par ici, ordonna son maître.

Non seulement l’animal n’obéit pas, mais il redoubla de virulence dans les fourrés. Des aboiements rauques parvinrent aux oreilles de Constantin qui cria avec agacement :

– Tu vas la fermer maintenant, Mikado. Sors de là et viens ici. Au pied !

Une subite agitation dans le bosquet fit trembler furieusement les branches de laurier, comme si une bourrasque inattendue venait de se lever. De brefs gémissements de douleur se firent entendre, remplacés presque aussitôt par un silence oppressant.

– Mikado ! s’exclama le papi, se levant d’un bond en renversant son siège. Où es-tu, mon chien ?

Pas de réaction. Constantin s’élança dans les fourrés et s’arrêta net à l’endroit où le sol piétiné disparaissait sous des rameaux réduits en pièces. Il tâtonna du bout de sa chaussure les branchages écrasés pour y trouver un indice quelconque, et décela, au pied d’un arbre, des taches de sang frais. Son regard suivant machinalement les traces humides sur le tronc, Constantin leva la tête et ce qu’il vit lui fit pousser un cri d’effroi.

Ses yeux restèrent figés dans une expression de terreur lorsque sa tête roula sur le feuillage et que ses artères carotides aspergèrent la verdure environnante, répandant des giclées de sang chaud qui laissaient une horrible souillure sur leur passage.

La tête dévala la pente douce menant à la berge, finit sa course dans le Lot et sombra dans les profondeurs de la rivière, entourée d’une auréole d’eau empourprée.

© Marc Brucker, Août 2017

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